Mémoires Un portrait des jeunes Québécois d’expression anglaise vulnérables âgés de 15 à 29 ans CHSSN octobre 25, 2023 Mémoires Mémoires Un portrait des jeunes Québécois d’expression anglaise vulnérables âgés de 15 à 29 ans Le Réseau communautaire de santé et de services sociaux (RCSSS / CHSSN) soumet le mémoire suivant au Secrétariat à la jeunesse dans le cadre de la consultation jeunesse en cours afin d’éclairer la prochaine politique québécoise de la jeunesse 2030. Introduction Le Réseau communautaire de santé et de services sociaux (RCSSS) est un réseau de plus de 70 ressources communautaires, associations, fondations et autres intervenants qui se consacrent, par le biais de partenariats, au développement de services de santé et de services sociaux pour les communautés d’expression anglaise du Québec. Le RCSSS a été fondé en 2000 par un groupe de leaders communautaires qui ont reconnu l’importance de mobiliser les communautés d’expression anglaise pour assurer un meilleur accès aux services sociaux et de santé en anglais. Le RCSSS a renforcé la capacité des organisations de toute la province à devenir des experts des besoins et des réalités des communautés d’expression anglaise. Il a donné aux communautés les outils nécessaires pour participer activement à l’amélioration de l’accessibilité des services en anglais. Le modèle du RCSSS a été reconnu comme innovant à l’échelle nationale et internationale par diverses parties prenantes dans le domaine du développement communautaire et des soins de santé pour les minorités linguistiques. Le RCSSS a constitué une base de données probantes sur les communautés d’expression anglaise, y compris sur des sous-populations telles que les jeunes de 15 à 29 ans; ces données sont disponibles sur le site Web du RCSSS : chssn.org. Le RCSSS a reçu un financement du Secrétariat à la jeunesse (SAJ) de 2021 à 2024 pour promouvoir la santé mentale des jeunes d’expression anglaise en améliorant leur accès aux ressources et aux services de santé et en leur donnant l’opportunité de participer à la conception et à la mise en œuvre d’activités et d’événements qui favorisent leur action et réduisent la stigmatisation de leurs pairs et de la communauté. Notre programme s’est concentré sur la connaissance de la santé mentale et la sensibilisation des jeunes tout en promouvant l’adaptation des services et des ressources de santé mentale pour qu’ils soient plus inclusifs, conviviaux pour les jeunes et culturellement appropriés afin d’atteindre les jeunes d’expression anglaise mal desservis. Comme indiqué dans le guide pour la consultation SAJ, la santé mentale d’un individu est affectée par une série de facteurs, dont la pauvreté, l’exclusion sociale et la stigmatisation. Ce dossier présente un portrait des déterminants démographiques et sanitaires qui soulignent la vulnérabilité des jeunes Québécois d’expression anglaise âgés de 15 à 29 ans en ce qui concerne leur état de santé, et en particulier leur santé mentale et l’accès à des services dans leur langue. Profil sociodémographique des jeunes Québécois d’expression anglaise Les jeunes d’expression anglaise du Québec ont un profil très différent de celui de la population majoritaire, qui contredit les idées reçues sur la communauté d’expression anglaise. Leur profil présente une population beaucoup plus vulnérable et désavantagée sur le plan économique que la population majoritaire francophone. Les points suivants mettent en évidence certaines de ces différences, tirées du recensement de 2021 de Statistique Canada. Les 256 835 jeunes anglophones âgés de 15 à 29 ans représentent 20,5 % de l’ensemble de la communauté anglophone, soit une proportion beaucoup plus élevée que le groupe d’âge des 15-29 ans de la population francophone (16,3 %). Le taux de chômage des jeunes anglophones est beaucoup plus élevé que celui des jeunes francophones (14,4 % contre 9,0 %). Pour l’ensemble de la population anglophone, le taux de chômage est passé de 8,9 % en 2016 à 10,9 % en 2021, alors qu’il est demeuré constant pour la majorité francophone, soit 6,9 %. Les jeunes anglophones de 15 à 24 ans sont plus de deux fois plus susceptibles de vivre sous le seuil de faible revenu (SFR) 1que la majorité francophone (18,1 % contre 8,7 %). Les jeunes anglophones ont une proportion plus élevée de jeunes ayant des revenus inférieurs à 20 000 dollars (50,2 % contre 43,1 %). 17,5 % des jeunes anglophones sont des immigrants récents, contre 5,3 % des francophones. Malgré ces facteurs négatifs, les jeunes anglophones ont un niveau d’éducation plus élevé que les francophones (23,8 % contre 16,1 %). Barrières linguistiques et accès aux services sociaux et de santé Outre les données du recensement, le RCSSS a mis au point d’autres indicateurs qui permettent de mieux comprendre les défis auxquels sont confrontés les jeunes lorsqu’ils ont besoin de services sociaux et de santé. Selon un sondage provincial du RCSSS réalisé en 2023 auprès de 4 318 anglophones, les répondants ont déclaré avoir utilisé les services d’une salle d’urgence d’hôpital ou d’une clinique externe plus souvent que les francophones (27 % contre 16 %), et les ont également consultés plus fréquemment au cours des 12 derniers mois (43 % contre 29 %). Par ailleurs, les répondants s’adressent plus souvent à des professionnels de la santé ou des services sociaux pour un problème de santé mentale (29 % vs 14 %). Interrogés sur l’importance de la langue de service des professionnels de la santé ou des services sociaux lors d’une consultation pour un problème de santé mentale, la majorité (91 %) des anglophones qui avaient été servis dans leur langue pensaient qu’il était très important d’avoir obtenu le service en anglais. Par ailleurs, 65 % des anglophones qui n’avaient pas été servis en anglais ont affirmé qu’il aurait été important pour eux d’être servis en anglais. De plus en plus de recherches montrent qu’un groupe social peut être confronté à des risques sanitaires supplémentaires lorsque les valeurs culturelles dominantes contribuent à sa marginalisation, à la perte ou à la dévalorisation de sa langue et de sa culture, et à des obstacles à l’accès à des soins et à des services de santé culturellement appropriés. La vulnérabilité économique, le manque de reconnaissance ou de sentiment d’appartenance et l’absence de voix associée à la discrimination et à l’exclusion sociale sont liés à divers risques pour la santé. Les barrières linguistiques et les facteurs socioéconomiques sont des éléments clés à prendre en compte dans le cas de la hausse des taux d’anxiété et de dépression chez les anglophones tels que remarqués au cours d’une étude menée dans les premiers temps de la pandémie. La Dre Mélissa Généreux, professeure à la Faculté de médecine et des services de santé de l’Université de Sherbrooke et conseillère à la Direction de santé publique, a indiqué que dans toutes les régions certains groupes sociaux sont plus touchés que d’autres par la pandémie. Ces groupes à risque sont les adultes âgés de 18 à 24 ans, les anglophones et les travailleurs de la santé. Selon la Dre Généreux, « dans notre étude, 37 % des adultes âgés de 18 à 24 ans ont signalé des symptômes d’anxiété ou de dépression au cours des deux semaines précédentes. Il est inquiétant de constater qu’une part importante des jeunes ne vont pas bien. Il est tout aussi frappant de constater que les anglophones sont deux fois plus susceptibles que les francophones de présenter des symptômes d’anxiété ou de dépression. » En 2021, le RCSSS a entrepris sa propre recherche communautaire collaborative en lançant le sondage « Youth Pulse Check » auprès de 456 jeunes Québécois d’expression anglaise (18-29 ans). Ce sondage, créé conjointement avec les organismes communautaires du réseau, avait pour objectif d’obtenir un aperçu de l’état de bien-être des jeunes anglophones et de leur expérience en matière d’accès aux soins de santé mentale et aux services de soutien à travers le Québec pendant la pandémie. Les résultats sont extrêmement préoccupants. À une époque où 90 % des jeunes répondants ont déclaré qu’ils se débattaient au moins « assez souvent » avec leur bien-être mental, le sondage a révélé qu’une majorité écrasante de jeunes anglophones estimaient qu’il y avait un manque flagrant de services et de soutien adéquats en matière de santé mentale en anglais dans leur région. Alors que de nombreux répondants ont déclaré avoir cherché de l’aide sans succès dans le passé (en se heurtant à des obstacles tels que les longues listes d’attente, les coûts prohibitifs de l’aide à la santé mentale ou la non-disponibilité des services en anglais), d’autres ont déclaré ne pas avoir cherché d’aide du tout en raison d’un manque d’informations sur les services vers lesquels ils pourraient se tourner. L’une des conclusions importantes du sondage « Youth Pulse Check » est l’ampleur des difficultés financières des jeunes Québécois d’expression anglaise et la mesure dans laquelle ils estiment que ces difficultés affectent leur santé mentale. Ce stress est aggravé d’une part par l’accessibilité limitée des services de santé mentale en anglais dans le secteur public, et d’autre part par le coût élevé de la thérapie disponible en anglais dans le secteur privé. Cette combinaison de facteurs signifie que les jeunes d’expression anglaise qui n’ont pas les moyens financiers de payer une thérapie privée sont exclus en grand nombre de l’accès aux services de santé mentale. Les difficultés financières ont affecté de façon disproportionnée la santé mentale des répondants suivants : les répondants noirs (44 % d’entre eux ont déclaré que leurs difficultés financières affectaient leur santé mentale); les répondants qui s’identifient comme non-binaires, transgenres, bispirituels ou autres (49 % d’entre eux ont déclaré que leurs difficultés financières avaient affecté leur santé mentale); les répondants qui ont quitté un foyer d’accueil (90 % d’entre eux ont déclaré que leurs difficultés financières avaient affecté leur santé mentale). Ces vulnérabilités étaient déjà évidentes avant la pandémie. L’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2018 a montré que les jeunes anglophones (15-24 ans) ont obtenu de mauvais résultats pour de nombreux indicateurs de santé mentale et capacité socio-émotionnelle par rapport à d’autres groupes d’âge au sein de leur communauté linguistique, ainsi que par rapport aux francophones du même âge. Les jeunes anglophones étaient moins susceptibles de déclarer que leur santé mentale était excellente (31,3 %) que les jeunes francophones (43,5 %). Ils étaient également moins susceptibles de se sentir comme une personne de valeur (44,9 % comparativement à 53,7 %) et moins susceptibles d’avoir des personnes sur lesquelles ils peuvent compter (71,9 % comparativement à 79,8 %). Le travail collectif du RCSSS et de son réseau d’organismes desservant la communauté d’expression anglaise a révélé de nombreuses lacunes dramatiques dans les services sociaux et de santé mentale pour les jeunes, ainsi que de nombreux obstacles. Les régions rurales du Québec sont confrontées à des défis encore plus importants en raison du nombre réduit de professionnels bilingues, de la dispersion des populations sur de vastes territoires géographiques et de la stigmatisation plus importante des personnes qui cherchent à obtenir des services de santé mentale. Les jeunes Québécois d’expression anglaise ont des idées fortes et importantes à partager sur l’accès aux soins et au soutien en santé mentale dans la province, et cette expertise devrait être mise à profit dans la conception et la mise en œuvre de services et de ressources pour les soutenir. Nous pensons que cela contribuera à réduire la stigmatisation des problèmes de santé mentale et à promouvoir l’utilisation des services de santé mentale parmi les jeunes Québécois d’expression anglaise (15-29 ans). Recommandations Alors que nous travaillons ensemble à l’amélioration de l’accès équitable pour les jeunes d’expression anglaise en tant qu’utilisateurs de services de santé mentale au travers de la province, voici cinq recommandations essentielles pour la Politique québécoise de la jeunesse 2030 : Que les besoins et les défis des jeunes anglophones soient reconnus dans le nouveau plan d’action. Qu’il y ait une allocation équitable des ressources identifiées dans le plan d’action pour répondre aux besoins de santé mentale des jeunes d’expression anglaise et que ces ressources soient dirigées vers les organismes communautaires qui répondent aux besoins de santé mentale des jeunes d’expression anglaise. Qu’un comité consultatif soit créé, dans le nouveau plan d’action, chargé de conseiller le gouvernement du Québec sur le soutien à l’intégration des jeunes anglophones et sur l’identification et l’élimination des obstacles à leur accès aux services et au soutien. Qu’il y a un engagement de soutenir les efforts visant à améliorer les points d’entrée des services de santé mentale à faible barrière qui sont accessibles en anglais dans le système de santé publique et par le secteur communautaire (par exemple accroître les efforts visant à transformer le service Aire ouverte en points d’accès aux services bilingues dans toute la province). Qu’adapter les offres de services de santé mentale pour qu’elles soient culturellement appropriées, respectueuses des traumatismes et adaptées aux jeunes anglophones et allophones particulièrement marginalisés soit une priorité (y compris les jeunes racialisés, LGBTQIA2S+, autochtones, neurodivers et faiblement alphabétisés, ainsi que les jeunes ayant quitté un foyer d’accueil) afin de réduire leur réticence à utiliser le système de santé. Bibliographie Réseau communautaire de santé et de services sociaux (2022). Nigam, S. (consultant indépendant en évaluation). Rapport sur les résultats de Youth Pulse Check 2022. https://chssn.org/fr/documents/ymhi-evaluation-report-2021-2022-fr/ Réseau communautaire de santé et de services sociaux (2023). CROP Survey: English- language Health and Social Services Access in Quebec. https://chssn.org/fr/documents/crop-english-language-health-and-social-services-access-in-quebec/ Réseau communautaire de santé et de services sociaux. (2022). Nigam, S. (consultant indépendant en évaluation). Rapport d’évaluation de l’initiative sur la santé mentale des jeunes 2022 https://chssn.org/documents/ymhi-evaluation-report-2021-2022/ Réseau communautaire de santé et de services sociaux. (2018). Pocock, J. (chercheur indépendant). Principales caractéristiques démographiques et socioéconomiques des jeunes d’expression anglaise du Québec (15-29). https://chssn.org/documents/key-demographic-and-socioeconomic-characteristics-of-quebecs-english-speaking-youth-15-29/ Réseau communautaire de santé et de services sociaux. (2015). Pocock, J. (chercheur indépendant). Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (2011-2012). Résultats relatifs à la santé mentale et émotionnelle des communautés d’expression anglaise du Québec. Généreux, M. et al. (2021). Impacts psychosociaux de la pandémie de covid-19 : résultats d’une large enquête québécoise. Université de Sherbrooke. https://www.usherbrooke.ca/actualites/nouvelles/sante/details/43540 Éthier, A. et Carrier, A. (2022). L’accessibilité des services sociaux et de santé chez les minorités de langue officielle du Canada et les facteurs influant sur leur accès : une étude de portée. Minorités linguistiques et société / Linguistic Minorities and Society, (18), 197-234. https://doi.org/10.7202/1089185ar Ouimet, A.-M., Trempe, N., Vissandjée, B. et Hemlin, I.(2013). Adaptation linguistique dans les soins et services de santé : enjeux et stratégies. La langue comme déterminant de l’état de santé et de la qualité des services. Institut national de santé publique du Québec. https://www.inspq.qc.ca/en/publications/1697 Secrétariat à la jeunesse. (2023). Consultation pour la jeunesse : Ta voix. Ton Québec. exprime-toi maintenant!. Consultation Québec. https://consultation.quebec.ca/processes/consultationjeunesse?locale=fr Table ronde provinciale sur l’emploi. (2023). CENSUS 2021 Update: A brief review of the latest data on employment among Québec’s English speakers. https://pertquebec.ca/reports/census-2021- update-a-brief-review-of-the-latest-data-on-employment-among-quebecs-english-speakers/ Les seuils de faible revenu après impôt (SFR-AT) sont des seuils de revenu en dessous desquels une famille consacrera probablement une part plus importante de son revenu après impôt aux nécessités de l’alimentation, du logement et de l’habillement que la famille moyenne. ↩︎ Partagez cette page Facebook Twitter LinkedIn Pinterest Email